Le chien du Colonel

Il s'appelait PATOU. Quand je l'ai connu, il avait déjà 9 ans. le Colonel l'avait pris tout bébé. Il l'avait parfaitement éduqué, Patou obéissait "au doigt et à l'oeil", un geste de son maître et Patou était "au garde-à-vous".

Quand j'ai retrouvé le Colonel, au début, il venait nous voir sans son chien. J'avais ma petite levrette, Lara, il ne voulait pas d'histoires. Un jour, il a amené Patou, Une crème ! Mais ne voulant pas qu'il empiète sur le territoire de Lara, le Colonel a mis Patou aux arrêts de rigueur dans le jardin. C'était trop bête !! J'ai profité d'une balade de Môôôssieur avec Chipie-Chérie pour aller chercher Patou. Les chiens ont fait truffe-à-truffe, sans plus. Quand le Colonel est rentré, Lara était dans son fauteuil et Patou couché dans la cuisine, à mes pieds. Quand il a été sûr de son fait, Patou a choisi son endroit de prédilection : devant le frigo. De là, il pouvait me suivre des yeux, où que j'aille dans l'appartement. Et tant pis s'il devait se lever pour que je puisse atteindre les oeufs ou le pot de cornichons....Il m'a voué (je m'en flatte) un amour presque égal à celui qu'il avait pour le Colonel.

Quand le Colonel retournait en Inde dans sa famille (à chaque fois pour trois mois), pas de problèmes : Patou n'avait même pas l'air de s'apercevoir de son absence. Il m'avait, moi, et j'en étais secrètement ravie. Il marchait parfaitement sans laisse, revenait au moindre appel. C'était la coqueluche des gosses du quartier.

Puis évidemment, les années ont passé. Patou ne jouait plus comme avant, il dormait beaucoup, avait des difficultés à se mouvoir. Il a eu un traitement assez lourd, mais qui n'a guère donné de résultats. Un jour, Patou s'est "lâché" en plein milieu du salon, il urinait, sans pouvoir se retenir, me regardant d'un air malheureux "C'est pas moi, ça..." Je devais le porter pour aller au jardin.....

Une nuit, je ne dormais pas, Patou essayait désespérément de plier ses pattes pour se coucher. Dressée sur un coude, je guettais ses mouvements, je souffrais pour lui. Enfin, il s'est couché. Soulagée, je me suis couchée aussi. En m'entendant remuer, Patou s'est relevé, est venu à moi et m'a léché le visage. J'ai sauté du lit, l'ai pris par le cou et j'ai sangloté la tête dans ses poils, comme une perdue.

Le lendemain, nous avons pris rendez-vous avec la clinique vétérinaire, le Colonel voulait faire opérer Patou. Moi, je savais que c'était inutile. En lui mettant sa laisse, je lui ai dit adieu, discrètement. Une demi-heure après, c'était le véto qui m'appelait. Le Colonel comprenait mal ses explications "S'il vous plaît, Madame, expliquez à votre mari que c'est inutile, le chien va souffrir pour rien..." J'ai pris le Colonel au téléphone "Chéri, c'est inutile, Patou va commencer à souffrir, il faut le laisser partir, il y a droit...."

Quand le Colonel est rentré, il n'a rien dit. Il a accroché la laisse de Patou, a décroché celle de Lara et est sorti avec elle. La seule et unique promenade qu'il ait fait avec elle....Nous n'avons pas échangé un seul mot sur le sujet.

Une semaine après, j'étais dans la cuisine. En me dirigeant vers le frigo....La place de Patou....Vide....J'ai fondu en larmes. Le Colonel est venu tout de suite. Je me suis jetée à son cou "C'est Patou...Il se couchait toujours près de moi..." Et là...J'ai senti les épaules du Colonel tressaillir. Nous avons pleuré ensemble, comme des gosses. Patou était parti. Mais quels merveilleux souvenirs nous gardons de lui....

Et pour terminer sur une note plus joyeuse, une petite anecdote. Un jour, je nettoyais le seuil de la maison, je vois de loin le Colonel, Chipie-Chérie (4 ans à l'époque) et Patou, revenant de promenade. Rien que de très normal. A un détail près : Chipie-Chérie marchait au pas, exactement à hauteur du Colonel. Parvenue à ma hauteur, j'ai trouvé une petite boule de rage, sourcils froncés, qui m'a tendu son poignet d'un air accusateur : "Regarde ce que Daddy m'a fait !" Il avait enroulé la laisse de Patou autour de la minuscule menotte. Et devant mon regard interrogateur, il m'a dit d'un air désolé : "You know, darling...Si je dis "Patou, ici!', lui obéit.Mais Saravjeet...Non !"